Interview pour soleil et fiesta | février 2010
Une Madeleine Proust nouvelle génération
Les 29 et 30 janvier dernier, la Madeleine Proust a joué trois fois (à guichets fermés) son tout nouveau spectacle « Haut Débit » au Théâtre Musical de Besançon. Entre ses deux représentations du samedi, Lola Sémonin s’est confiée à Soleil y Fiesta. Rencontre.
Lola, quelles émotions vous procurent votre retour en Franche-Comté avec la Madeleine Proust ?
Par rapport à Paris, les spectateurs participent plus au spectacle et se « lâchent » davantage. Et puis, quand je suis en tournée en province, j’ai la chance de jouer dans des salles plus grandes que dans la capitale.Donc encore plus d’ambiance.
Quels sont les principaux messages développés dans ce nouveau spectacle « Haut Débit » ?
Des coups de gueule, des coups de griffe et surtout, le thème de la discrimination raciale.
Il est temps de comprendre en 2010, qu’on est tous des terriens, que nous avons une planète pour y co-habiter et qu’on est tous semblables faits de chair , d’os, de sang et d’un cœur qui bat .Et à l’intérieur, on se débat comme on peut avec nos névroses, nos blessures mais que la vie ne vaut pas d’être vécue si on ne cherche pas à trouver la paix à l’intérieure de soit.
Je veux montrer ici comment deux êtres que tout sépare, arrivent, petit à petit, à s’intéresser l’un à l’autre.
Kamel repésente « l’autre », celui qui est différent -(Le gros , le roux, le petit, l’handicapé, celui qui ne nous ressemble pas, l’étranger……) celui dont on a peur ou qu’on rejette parce qu’on ne le connaît pas . Le racisme et la connerie viennent toujours de l’ignorance.
Pendant l’écriture, j’ai cherché ce qui pouvait les rapprocher, eux qui viennent d’horizons si différents et j’ai pensé que leur point commun était la « tchatche ». La madeleine a de la répartie, un franc parler et Kamel excelle dans l’art de la vanne .puis, m’appuyant sur mon personnage de la Madeleine qui n’a pas d’enfant, j’ai voulu évoquer l’importance de l’héritage, de ce qu’on transmet , de ce qu’on sème sur la terre .
Le tout par l’angle de l’humour.
Il y a donc un message « politique » dans votre spectacle ?
Il y a un engagement, une volonté d’égratigner, de poser le doigt sur les inégalités sociales, les injustices mais toujours dans l’humour, évidemment et avec des vagues d’émotions,qui arrivent quand le public ne s’y attend pas, pour que le rire prenne encore plus de force, de sens et même de double-sens.
La Madeleine boycotte les « caisses sans caissières ». Quels sont ses autres combats ?
La dictature alimentaire, celle des puissants, de l’argent, la non humanité des politiques qui préfèrent se partager le gâteau entre eux et ne jeter que des miettes à ceux qui pourtant les font vivre ; On est toujours au temps de la féodalité ;
J’ai participé à des manifestations à Paris pour dénoncer les trop nombreux contrôles d’identité qui dérapent, notamment contre les « Noirs » et les « Arabes ».Moi-même, j’ai été mise mains au mur en pleine rue, parce que je protestais contre la violence et la grossièreté avec lesquelles ils interpellent les jeunes .
Je veux inviter les gens à rester vigilants face à la politique d’un gouvernement qui est au service des personnes les plus puissantes, ment et méprise les catégories moins favorisées de la population française. Vous savez, aujourd’hui, il faut avoir du courage pour répondre à un flic… même gentiment.On sait qu’on leur demande de faire du chiffre ; C’est scandaleux !
Il n’y a qu’à écouter les témoignages des émissions de Daniel Mermet ( A 15h sur France Inter) par exemple sur les gardes à vue abusives.
Scandaleux aussi comme on est racketté sur la route , sans cesse, alors que les escrocs du gouvernement brûlent les feux rouges impunément et se déplacent en jet.
A quand tous les mécontents dans la rue pour reprendre leur vie en main ?
Il est fondamental de se relier à l’énergie colossale de l’univers, pour trouver des solutions, de continuer à rêver puisque la politique de la sécurité cherche à nous paralyser dans la peur pour mieux nous soumettre.
De rester toujours en éveil, les yeux ouverts et le poing levé.
Le problème pour moi, c’est Darwin. C’est d’avoir posé comme un acquis que l’homme se trouve au sommet de la pyramide. Alors que pour moi, les minéraux, les végétaux, les animaux sont accomplis et que l’être humain est encore un barbare , non civilisé, qui est parfois à la recherche de son être profond mais qui vit plutôt dans l’avoir que dans l’être. Dans une société de consommation, avec toute la violence que ça engendre, ce n’est pas facile d’aller chercher la paix et la confiance à l’intérieur de soi ;
Et pourtant, c’est le seul chemin.
Avec son parrain Edmond d’Istambul, la Madeleine ouvre aussi les yeux sur le Monde ?
C’est vrai, il fallait que la Madeleine découvre autre chose d’inattendu. Elle apprend que son parrain Edmond est homosexuel ; Ce qui m’intéresse dans l’écriture, c’est de chercher toutes les nuances d’un personnage et de décliner à travers eux la multiplicité des réactions face à une situation inconnue, pour faire naviguer dans la tête du spectateur tous les comportements de la comédie humaine.On est en 2010 et il faut savoir que des parents rejettent encore dans notre pays leur fils ou leur fille qui leur confie leur homosexualité. Y’a encore du boulot8
Mais pour moi , la connerie vient toujours de l’ignorance.
Après plusieurs représentations, quel regard portent vos spectateurs sur l’amitié entre la Madeleine et le jeune Kamel ?
C’est un de mes spectacles où il y a le plus d’émotions.
Il n’y a qu’à lire les messages du livre d’or de mon site.
Ce spectacle reçoit le plus d’éloges, de par son humanité.
Comment La Madeleine Proust est-elle perçue dans la capitale ?
Les Parisiens, comme les Franc-Comtois, sont attachés à La Madeleine. Une belle familiarité est née entre eux : c’est un peu comme « une tante qu’on n’a pas revu depuis longtemps et qu’on se réjouit d’aller voir, parce qu’elle est trop fun.
Elle fait rire les jeunes des cités, les enfants l’aiment beaucoup et elle touche ceux qui la découvent parce qu’elle est vraie, nature, authentique.
Les textes sont particulièrement bien ciselés. Comment sont-ils travaillés ?
J’ai construit mon texte comme un scénario, comme un film- Ce qu’il deviendra , j’espère.
Je réfléchis au sens de mon propos, à son utilité, aux angles pour aborder les sujets dont je veux parler . J’interroge des femmes, des paysannes, je relis les notes que je ne cesse de prendre et quand je passe à l’écriture, je suis imprégnée par ma Madeleine et je peux la faire parler vrai et trouver des tournures qui feront rire.
Je suis ma première spectatrice. Si ça me fait rire, le public rira, si ça m’émeut, le public sera ému. Et si j’ai un doute, j’en parle à ma metteuse en scène Béatrice Jeanningros .Elle est originaire d’Avoudrey, alors , elle en connaît un rayon, elle aussi sur les « Madeleine » .Je l’ rencontrée au Conservatoire de Besançon . Je travaille aussi avec Gérard Bôle du Chaumont avec qui j’ai crée la Madeleine en 1982 et qui est toujours resté le complice à chacune de mes créations.
La langue de la Madeleine est pleine d’expressions du langage familier, très imagées, de pataquès, de proverbes détournés et de quelques mots francs- Comtois .La langue populaire est riche , toujours ré-inventée, comme celle des cités.
Et l’accent du Haut-Doubs donne une musique , une couleur, enracine le personnage et donc le rend encore plus universel.
Pour Kamel, j’ai pas mal de potes en banlieue qui ont de la verve et je connais par cœur les problèmes qu’ils rencontrent ; Je suis très sensible à l’immigration depuis mon enfance , quand on voyait des patrons d’usine ramener des Maghrébins, pour avoir de la main d’œuvre pas cher-dans des camions, comme des bestiaux - tout cela autorisé par le gouvernement- puis entassés dans des bidons-villes ou à 10 dans des caves de 20 m2 comme mes voisins rue Battant, dans les années 70.
Ce n’est pas étonnant que tant de violence naisse aujourd’hui, comme une résurgence du passé.
J’ai peaufiné quelques les répliques de Kamel avec Hamid Asseila de NG Productions.
Comment vous est venue l’idée de faire faire la bande-son du spectacle par le public ?
C’est une innovation .Cela faisait partie de mon cahier des charges : jouer avec le public.
Alors, j’ai cherché une idée originale . Un jour, je l’ai répété à l’occasion d’une soirée privée dans un chalet où il n’y avait pas d’électricité. J’ai donc demandé aux gens de faire les sons.
J’ai su que j’avais trouvé ce que je cherchais. Lorsque je demande une ambiance d’embouteillages, à Marseille, un jour de marché devant le port , le public joue tellement le jeu, que ça dure parfois plusieurs minutes et moi , depuis la scène, je jubile.
La création est alors des deux côtés. C’est un vrai régal .
Le spectateur crée le spectacle en même temps que moi.
Quels sont les futurs projets de Lola Sémonin ?
J’ai envie de tourner ce spectacle le plus longtemps possible… Rassembler tous les publics de plus en plus.Travailler parallèlement avec des jeunes de quartiers, comme avec le centre Nelson Mendela à Planoise.
En 2012, on fêtera les 30 ans de la Madeleine ! ça va déchirer !!!
J’ai commencé d’écrire un roman qui se passe sur fond social pendant les évènements du CPE que j’ai vécus en direct, caméra au poing à Paris.
Et surtout réaliser mes films.
A 60 balais, commencer une vraie carrière de cinéaste .
Un petit mot sur Hamid Asseila, de NG Productions ?
J’étais en train d’écrire ce spectacle, je l’ai rencontré car il m’a demandé de marrainer sa nuit du rire . Le courant est tout de suite passé entre nous . Monter une société de spectacle par les temps qui courent et en plus à 24 ans, je lui dis « Chapeau » et « Respect « .